Qui veut voyager loin, ménage sa monture
Histoire de notre départ sur les chapeaux de roues
Luanda se fait de plus en plus petit dans le rétroviseur, devant nous, un grand voyage, un continent, l'Afrique.
On file sur l'asphalte, on plane dans nos têtes. L'aventure que l'on imaginait depuis si longtemps a bel et bien commencé. On se sent tous les cinq prêts et préparés. Matériellement, le Land cruiser est tout équipé et la mécanique a été vue et revue. La remorque qui est quasiment neuve a été quelque peu adaptée pour l'aventure. La pharmacie, la cuisine, le matériel scolaire, l'outillage, les habits et tout ce que vous pouvez imaginer pour voyager 12 mois avec 3 enfants et 2 adultes depuis l'Angola jusqu'en France ont trouvé leur place dans les boites, tiroirs, placards.
Epuisés par les dernières semaines, on tient à l'endorphine sécrétée par l'excitation du départ. On a l'impression d'avoir fait le plus dur, partir. L'histoire nous contredira très rapidement !
Installés sur les blocs de granit des Pedras negras après environ 300km, la fête continue. Une dizaine de voitures de copains sont déjà sur place. On monte le premier camp d'une longue série.
Les journées sont courtes pendant l'hiver austral. Réchauffés par les gin tonics et Cuca (la bière angolaise), on la voit pas passer. Tout autant que les jeunes du village alentour qui se sont amassés autour de nos tentes, attirés par l'ambiance festive du campement. Habitué à ce type de situation, on y prête pas particulièrement attention. Jusqu'à ce qu'au moment de me coucher, je trouve la carte Visa de Jeanne par terre.
"Jeanne, qu'est ce que ta carte fait là? Faut mieux ranger tes affaires !"
Rapidement, on réalise que le sac en entier contenant son portefeuille a disparu. Trop fatigués et alcoolisés pour tout vérifier à cette heure de la nuit. On se couche en l'état.
Le lendemain, l'inventaire des objets disparus ne fait que s'accroitre. Trousse de secours, couteaux, micro de la caméra et le sac de Jeanne. Bien élevé, je ne demande pas ce qu'il y avait dedans. Mais faut le retrouver.
Les gamins sont les supects évidents. Remonté - surtout contre moi même - je file au poste de police à quelques centaine de mètres du camp. Assis sur l'armature de leurs chaises, j'ai l'impression qu'ils m'attendaient. Après l'exposition des faits, les policiers paraissent confiants sur le fait que ça va réglé vite fait bien fait. Direction le village voisin où l'on embarque sans discussion préalable trois gamins entre 12 et 16 ans.
Au poste, l'interrogatoire est expéditif.
"Tu m'as déjà vu arraché les couilles d'un chien pour les bouffer? Ben je vais faire pareil avec toi si tu me dis pas tout de suite où est le matos!"
Guy, le plus jeune, a pas le temps de répondre qu'il est tiré dans la pièce d'à côté. Bruit de gifle, de coup, de pleurs. Deux minutes après, on est tous serré dans le Land-Cruiser, de retour au village. Je n'ai pas encore parlé. Les flics gèrent. Guy ramène tous les objets volés, cachés dans sa chambre. Content que ce soit réglé si vite, j'ouvre les sacs. Déconvenue. Il manque le couteau, un joli Leatherman. J'y tiens et le fais remarquer.
Retour au poste pour pourvuivre l'interrogatoire. Dans la voiture, Guy balance sur son frère. Par hazard, on tombre sur lui sur le bord de la route. Marche arrière. On est à sa hauteur.
"Où est le couteau?"
"De quoi tu parles?"
"Tu me parles sur un autre ton, caralho!"
Le flic sort en trombe, le frappe à la tête et l'embarque. Je commence à me sentir à l'étroit, penaud, pas très fier de la tournure des événements.
Heureusement, la cachette du couteau est lâchée sans passer par la pièce de derrière. Retour au village où le couteau réapparait immédiatement. Le compte est bon.
En moins de 2 heures, la police a réussi à tout retrouver et rassembler.
Aucun commentaire moralisateur, ils s'excusent du comportement des jeunes et me souhaitent un bon voyage. Trop content de cette fin heureuse, je les remercie avec un billet. Ils l'acceptent mais ne l'auraient surement pas demandé sinon.
Je rentre au camp. Guy et son frère passeront la nuit au poste.
Trop habitué à ces situations pendant les week-ends de camping sur les plages, quelle naïveté nous avons montrés en laissant les gamins autour de la voiture toutes portes ouvertes alors que personne n'y faisait attention.
Premier jour du voyage et première leçon, à domicile qui plus est. On est des cibles évidentes avec notre palace austentaroire sur roues. Faut en être conscient et agir en conséquence. Ranger, fermer et locker. Changement d'ambiance.
On reprend la route. Les copains sont rentrés à Luanda. Seule la famille de Kristina, Andrew et leur deux enfants nous accompagnent. On a prévu de voyager ensemble en Zambie pendant les 3 premières semaines.
Le route est longue jusqu'à l'Est de l'Angola. Longue et mauvaise. En construction, la piste poussiéreuse et cassée alterne avec un billard à l'odeur de goudron frais. On en profite pour accélérer, sans pour autant ralentir quand ça se dégrade.
Sous prétexte d'essayer de rattraper une expédition du National Geografic qui va descendre le Zambèze en mokorro (c'est le nom donnée aux canoë dans la région du Zambèze et Okavango), on accélère encore. On s'arrête pour manger, dormir, boire une bière et pisser.
Le premier avertissement arrive lors d'un arrêt pipi quelconque. Les 12 œufs ont explosé dans la remorque. Les tiroirs sont bloqués. Les tuyaux d'eau fuient.
Faut dire que la remorque tape fort dans l'attelage de la voiture. On s'y est mal habitué depuis toujours mais là c'est de plus en plus fort. Ca fait mal au ventre à chaque impact.
"Didier, en roulant derrier toi tout à l'heure j'avais l'impression que l'axe de la remorque est pas droit" dit Andrew le soir au camp.
"Ah ouaip, tu crois? On verra ça demain. Tu reprends une Cuca?".
L'axe entre les 2 roues est bel et bien plié. Pas beaucoup, mais assez pour que les pneus frottent contre les amortisseurs dans les virages.
On va falloir réparer ça dès que possible car ça ne peut que s'empirer ce genre de problème et la conséquence serait dramatique. Mais qui peut déplier un axe qui est dimmensionné pour supporter 2400 Kg ?
Pris dans la course du voyage, ce ne sera toujours pas ça qui nous fera ralentir. On vient de retrouver un couple qui roule en Defender depuis 1 an depuis la Suisse. On voit qu'ils ne sont pas dans le même rythme. Plus léger du pied droit.
L'asphalte a disparu. Il ne réapparaitra que dans plusieurs jours et quelques centaines de kilomètres après la frontière Zambienne. On longe le Congo, l'attelage slalom entre les nids de poule. Freinage avant de rentrer dedans, BANG! la remorque nous rappelle à l'ordre. Malheurseument dans le confort du Land-Cruiser monté sur coussin d'air, on ne ressent pas à quel point la remorque souffre derrière.
BANG !!!!
Celui-là était plus fort que les autres. Je m'arrête et catastrophe, la tente de toit s'est détachée de la remorque. Elle est de traviole, prête à tomber au prochain virage. Les accroches n'ont pas tenu le coup.
Là on a un problème car devant nous ça ne va qu'empirer et le prochain poste à souder doit se trouver en Zambie.
La tente est sanglée et on monte le camp à quelques kilomètres de là sur un emplacement de MAG (ONG de déminage en Angola).
Andrew et Michi qui à eux deux ont déjà traversé l'Afrique plusieurs fois en Defender sont là pour me rassurer. Demain, on va se débrouiller et on repartira avec un montage encore plus costaud.
Depuis le début de la chevauché, je passais une partie de mes nuits - plutôt au petit matin, quand les rêves sont plus denses - à réfléchir dans un demi-sommeil à la manière de réparer de chacun des problèmes que j'accumule. Cette nuit là sera consacrée entièrement à la fixation de la tente. Au saut du lit, j'ai hâte de mettre en pratique toute l'ingénierie nocturne déployée et me rend compte rapidement que je rêvais, tout simplement.
Bref, retour à la réalité à coup de scie à métaux, marteau, clé de 13, huile de coude et solidarité. En démontant les brackets des barres de toit qui servent à rien, la tente est remise sur pied à midi. Tout seul, je me serais senti désespéré, envie de continuer sans remorque.
Une bonne dose de pragmatisme anglais accompagnée par la précision suisse et une touche de créativité française, c'était la formule gagnante ce jour-ci. C'est la beauté de ce type de voyage au long court. La rencontre de personnes inspirantes qui donne la force de continuer la route. De se convaincre qu'on a fait le bon choix. Merci les copains!
La frontière passée après une sortie haute en couleur et intense pour les machines, il faut se rendre à l'évidence. On a un problème de frein avec la remorque. C'est la cause principale de la détérioration accélérée de tous les autres éléments.
Installés dans le parc de Kafué, la famille partie en safari, on reste avec Andrew avec l'idée de les rejoindre dans une demi-heure une fois le réglage des tambours expédié. Puis, je sais pas ce qui me prend, je démonte le système d'accouplage qui me semblait tordu. Tout comme moi à ce moment là, vous apprendrez que l'attelage d'une remorque a un système de piston qui se démonte avec une clé mais nécessite une presse pour le remonter.
C'est ça de jouer aux apprentis mécano au milieu de nulle part. C'était sans compter encore une fois de plus avec l'aide d'Andrew qui lui est un vrai mécano, ou plutôt, bush mécano. On ouvre une Mosi - bière Zambienne - pour mieux réfléchir. Surveillés par les hippos qui se baignent à quelques mètres, accompagnés par de la bonne musique, on passera 4 heures couchés sous la remorque, et la meilleure après-midi depuis le début du voyage.
Le système de freinage marche bien mieux. On peut aller au bout du monde.
Les semaines suivantes, les ennuis ont continué à un rythme qui a ralenti proportionnellement à notre vitesse. Mes mains se sont endurcies, ma conduite s'est adoucie.
Aujourd'hui 4 mois sont passés, nous sommes au Lesotho, les freins ont été entièrement changés à Cape Town chez Metalian, et je rêve de montagne et de moutons. A me demander quelle sera la prochaine panne qu'on rigole un peu !